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L'infini temps du thé

Une tonne de thé pu erh, noir intense, compressé en un cube imposant. C'est avec cette oeuvre à la Marcel Duchamp, signée par l'artiste chinois Ai Weiwei, que débute l'exposition du Musée Guimet. "La tonne de thé symbolise l'importance de la Chine dans l'histoire du thé, explique son commissaire Jean-Paul Desroches. Le poids de cette civilisation mais aussi l'impact du thé dans le monde d'aujourd'hui." Sous-titrée "Histoires d'une boisson millénaire", l'exposition présente un élégant court-métrage de Tran Ahn Hung (réalisateur de L'Odeur de la papaye verte), où Mme Tseng, maître de thé taïwanaise, transmet, en quelques gestes et mots mesurés, toute la délicatesse de l'esprit du thé. Champignon, bois brûlé, mousse, cuir, bonbon au miel, herbe coupée... On apprend que certains thés peuvent contenir jusqu'à 600 parfums ou que, en Chine, "l'eau est le corps du thé et le thé l'esprit de l'eau". A travers des ustensiles, des peintures et des manuscrits précieux, l'exposition revient sur les multiples transformations et techniques de préparation du thé, en 4 000 ans d'histoire. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, tous les thés sont issus d'une seule espèce de plante, le Camellia sinensis, de la famille des camélias. Jaune, blanc, vert, wulong, rouge ou noir, ce sont les traitements après récolte (oxydation, cuisson, fermentation) qui différencient les grandes familles du thé. Il peut ensuite, selon les âges et les civilisations, être bouilli, fouetté ou infusé. Même si l'on regrette de n'avoir pu goûter qu'un thé aromatisé, trop floral, au Musée Guimet, cette exposition ouvre les portes sur l'univers, encore bien méconnu, de la boisson la plus consommée dans le monde après l'eau.


ACCORDS METS-THÉS Plus populaire que jamais en Occident, le thé connaît aujourd'hui nombre de déclinaisons qui ont de quoi hérisser les grands maîtres : arômes artificiels ajoutés (même le earl grey est concerné), mélanges peu scrupuleux (notamment pour les sachets industriels) ou modes régressives comme le Bubble Tea (thé au lait sucré et aromatisé, agrémenté de billes de tapioca). Côté gastronomie, le thé est entré en cuisine, notamment avec le matcha japonais très prisé en pâtisserie. Les recettes qui l'intègrent abondent, et certains chefs s'essaient désormais aux accords mets-thés. Si cette boisson ancestrale est comparable au vin dans sa complexité d'arômes, de terroirs et de "cépages", la discipline reste, pour l'heure, tâtonnante. "Le thé a toujours accompagné la nourriture, précise Sophie Brissaud, auteur de La Table du thé(éditions Minerva), mais il n'y a pas de notion d'accords en Asie. C'est un concept occidental qui est compliqué avec le thé, car ses arômes délicats sont facilement supplantés par le goût de la nourriture." Même au Yam'tcha, seule adresse à ce jour qui propose un véritable menu en accords mets-thés (et une superbe cuisine d'auteur), la démarche n'est pas toujours concluante. Sophie Brissaud, qui s'est elle-même livrée à l'exercice dans son livre, reconnaît qu'il vaut sans doute mieux marier les thés à certains types de produits simples (fromages, pâtisseries). Les puristes préféreront sans doute se réfugier dans les authentiques maisons de thé, comme Terre de Chine à Paris. Ouverte il y a quinze ans par Mme Wang, avec le modeste souhait de "faire comprendre aux gens ce qu'est vraiment le thé", la boutique est si épurée qu'on la prendrait d'abord pour un comptoir médicinal. Mais l'accueil y est chaleureux, avisé, généreux. Les thés sont naturels (ni aromatisés, ni mélangés), vendus au poids et sélectionnés directement, saison après saison, auprès de petits producteurs des quatre coins de la Chine. Ici, on découvrira des parfums délicats, des "terroirs" inconnus, des millésimes précieux et des gestes précis d'une infinie douceur. Car "pour bien sentir les goûts, il faut respecter les préparations", dit MmeWang. On repartira avec quelques grammes de wulong ou de thé rouge du Yunnan et des indications pour les infuser selon les règles de l'art et se rapprocher peut-être, ainsi, de l'esprit du thé.
ARTICLE de Camille Labro, Le Magazine du Monde.
Voir aussi :
le
Musée Guimet à l'heure du thé
Camille Labro Plus d'informations
"LE THÉ, HISTOIRES D'UNE BOISSON MILLÉNAIRE", exposition au musée guimet, 6, place d'Iéna, Paris-16e. Tél. : 01-56-52-53-00. jusqu'au 7 janvier 2013, 
TERRE DE CHINE, 49, rue Quincampoix, Paris-4e. www.terredechine.com
MAISON DES TROIS THÉS, 33, rue Gracieuse, Paris-5e. Tél. : 01-43-36-93-84.
YAM'TCHA, 4, rue Sauval, Paris-1er. Tél. : 01-40-26-08-07. www.yamtcha.com

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